Depuis son entrée en vigueur en 2022, la certification Qualiopi a profondément transformé le paysage de la formation professionnelle en France. Présentée comme un gage de qualité et de professionnalisme, elle est devenue indispensable pour accéder aux financements publics.
Pourtant, Qualiopi n’a pas échappé aux critiques et a suscité de nombreuses polémiques. Lourdeur administrative, coûts élevés, accusations de fraudes, et critiques sur la qualité réelle des formations certifiées : cet article explore les principaux scandales et débats qui entourent Qualiopi, mettant en lumière les défis et controverses de la certification.
Table des matières
Lourdeur et Complexité de la Certification Qualiopi : Une Polémique Persistante
Obligatoire pour tous les prestataires de formation qui mobilisent des fonds publics depuis le 1er janvier 2022, la certification Qualiopi a suscité de nombreuses critiques, notamment en raison de sa lourdeur administrative et de la complexité des démarches requises. Conçue pour garantir la qualité des prestations de formation, Qualiopi repose sur un ensemble de 32 indicateurs qualité compilés au sein du Référentiel National Qualité (RNQ). Ces indicateurs visent à encadrer les processus internes des organismes de formation, de la gestion documentaire à l’évaluation des prestations. Cependant, pour de nombreux professionnels du secteur, cette certification représente bien plus un fardeau qu’un gage de qualité.
André Perret, "en guerre" contre Qualiopi
André Perret, expert reconnu des ressources humaines et de la formation, est l’un des critiques les plus virulents de Qualiopi. Dans un entretien accordé au site Management de la Formation, il n’hésite pas à parler de « dictature de Qualiopi » en raison des contraintes administratives imposées aux organismes de formation. André Perret illustre cette lourdeur en citant l’exemple d’un Centre de Formation d’Apprentis (CFA) qui a mobilisé trois équivalents temps plein uniquement pour préparer l’audit Qualiopi. Cette situation est loin d’être isolée. Pour beaucoup d’organismes, le processus de certification détourne en effet des ressources précieuses de leur cœur de métier : former et accompagner les apprenants.
André Perret, Management de la Formation
Ce sentiment est partagé par de nombreux professionnels, qui jugent que Qualiopi met davantage l’accent sur la conformité administrative plutôt que sur la qualité pédagogique réelle des formations. Le label évalue principalement les processus et la documentation, mais sans véritablement vérifier l’efficacité pédagogique ou l’impact sur l’insertion professionnelle des apprenants. La Cour des comptes a d’ailleurs critiqué cette approche dans un rapport publié en juin, affirmant que Qualiopi est devenu davantage un « argument commercial » pour accéder aux financements, sans véritable garantie de la qualité des contenus de formation.
Pour André Perret, le danger de Qualiopi ne se limite pas à l’aspect administratif. Il souligne que la certification risque de standardiser les formations, limitant la créativité et l’adaptabilité des formateurs face aux besoins spécifiques de leurs apprenants. Il compare Qualiopi à la norme ISO 9000, qui, à son époque, permettait de produire des services médiocres tant qu’ils répondaient aux critères normatifs. Dans le cadre de Qualiopi, un formateur qui adapte ses méthodes en fonction des besoins individuels des participants pourrait rapidement se retrouver en dehors du cadre normatif imposé par la certification. Cette rigidité nuit à la dynamique pédagogique et freine l’innovation dans les pratiques d’enseignement.
L'étude inquiétante de la DARES
Les études en la matière ne semblent pas contredire les propos d’André Perret. En novembre 2023, une étude statistique est publiée sur Qualiopi. Menée par la Dares et le Céreq fin 2022-début 2023. Elle réinterroge les 12 000 organismes de formation et centres de formation des apprentis ayant répondu à ETOF. L’enquête visait à éclairer le choix d’initier ou non la démarche Qualiopi et les possibles effets de ce choix sur l’activité de l’organisme de formation.
Il apparaît dans l’étude que seule la moitié des organismes de formation déclarent être certifiés Qualiopi (49%) ou en cours de certification (4%). 42 % disent ne pas ou plus être certifiés et 5 % ne pas connaître cette certification.
Parmi ces organismes qui boudent la certification, 48% assurent ne pas être rentré dans le processus Qualiopi à cause de la lourdeur des démarches que celle-ci implique. Ils sont également 45% à juger qu’ils n’ont pas le personnel nécessaire pour faire face à l’impératif de certification.
La plupart des organismes de formation n’étant pas ou plus certifiés Qualiopi n’ont jamais souhaité obtenir cette certification (85 %). Les autres ont le plus souvent abandonné la démarche en cours (12 %) ou plus rarement perdu la certification.
Le Coût et l’Accessibilité de la Certification Qualiopi : Un Obstacle Majeur
Les coûts d'audit eux mêmes
La certification Qualiopi, bien que présentée comme un levier pour garantir la qualité des formations, représente une charge financière significative pour de nombreux organismes, notamment les plus petits. Pour un organisme de formation unipersonnel, par exemple, les coûts cumulés de la certification peuvent rapidement devenir un frein majeur : 1 000 € pour l’audit initial, 500 € pour l’audit de surveillance, et à nouveau 1 000 € pour le renouvellement de la certification trois ans plus tard. Ces coûts directs, sans compter les frais annexes liés à la préparation, à l’accompagnement ou aux ajustements nécessaires pour répondre aux exigences de Qualiopi, peuvent décourager de nombreux entrepreneurs.
Les coûts d'accompagnement à l'audit
Mais ce n’est pas seulement l’audit en lui-même qui pèse sur les finances des organismes de formation : l’accompagnement qui précède l’audit représente une charge encore plus lourde. D’après l’étude de la DARES, près de 49 % des organismes de formation qui ont passé Qualiopi ont eu recours à un accompagnement spécialisé pour se préparer à l’audit. Selon le rapport de l’IGAS “La qualité de la formation professionnelle” d’octobre 2023, le coût moyen de l’obtention de la certification est estimé à 6 300 €, dont un tiers pour l’audit et deux tiers pour l’accompagnement. Cet accompagnement, souvent perçu comme indispensable pour comprendre les prérequis et structurer efficacement son dossier, est pourtant un investissement que beaucoup de petites structures ne peuvent se permettre.
Pour ces petites structures, notamment les formateurs indépendants ou occasionnels, l’accompagnement se révèle souvent indispensable mais également prohibitif. Le rapport de l’IGAS souligne que le coût de l’accompagnement représente une part disproportionnée des dépenses totales, rendant le processus de certification encore plus intimidant et inaccessible. En conséquence, beaucoup d’organismes renoncent purement et simplement à la certification. Parmi les organismes qui ont abandonné Qualiopi en cours de route ou qui n’ont pas entamé la démarche, près de 50 % citent des démarches trop lourdes et l’absence de personnel dédié pour mener à bien le processus de certification.
Mathieu Chartier : "La certification Qualiopi va tuer moult organismes de formation"
Mathieu Chartier, fondateur d’Internet Formation, critique vivement cette réalité dans son article “Qualiopi : la certification qui va tuer moult organismes de formation“. Il souligne que la certification Qualiopi est devenue un obstacle économique, davantage qu’une garantie de qualité : « L’État a dû chercher longtemps pour trouver une parade à Datadock, ce dispositif gratuit qui aurait déjà dû tuer des OF. Avec Qualiopi, le bouchon a été poussé plus loin en rendant la certification payante (ou plutôt les audits obligatoires qui en découlent), et limitée dans le temps (3 ans) […] Autant dire qu’il n’était pas difficile de trouver un bon moyen de faire vivre des organismes en faisant payer les audits relativement cher. »
Cette vision critique rejoint celle de nombreux acteurs qui estiment que Qualiopi ne vise pas réellement à améliorer la qualité de la formation mais plutôt à réduire le nombre d’organismes de formation en rendant l’accès à la certification plus complexe et onéreux. Pour les petites structures et les indépendants, le coût de Qualiopi et de son accompagnement est souvent perçu comme un obstacle insurmontable, limitant leur accès aux financements publics et mettant en péril leur activité. La certification est ainsi vue par certains comme un instrument de régulation économique qui favorise les grands acteurs au détriment des plus modestes.
L’obligation de certification est devenue un véritable fardeau pour de nombreux formateurs indépendants et petites structures, qui peinent à absorber les coûts et à restructurer leurs processus en vue de répondre aux critères exigeants de Qualiopi. Face à ce constat, beaucoup préfèrent abandonner la démarche, renoncer aux financements publics ou opérer en sous-traitance pour des organismes certifiés, plutôt que de s’engager dans une procédure qu’ils jugent coûteuse, complexe et peu adaptée à leur réalité professionnelle.
Les Critiques Moins Fréquentes Autour de Qualiopi
Qualité Réelle vs. Conformité Administrative : Un Écart Contesté
Une critique récurrente porte sur le fait que Qualiopi met davantage l’accent sur la conformité administrative et documentaire que sur l’amélioration réelle de la qualité pédagogique des formations. Beaucoup estiment que les efforts se concentrent sur le respect des indicateurs et la production de preuves, au détriment de la qualité pédagogique. Le véritable impact de Qualiopi sur la qualité des formations est donc questionné, certains pointant du doigt une certification davantage perçue comme un label administratif qu’un outil de développement pédagogique. C’est d’ailleurs l’une des conclusions que l’on peut tirer du rapport de l’IGAS qui relève par ailleurs une « absence de contrôle pédagogique dans le champ de la formation professionnelle ».
Accès aux Financements et Discriminations : Une Barrière pour les Non-Certifiés
La certification Qualiopi est devenue un passage obligé pour accéder aux financements publics. Cette exigence crée une barrière importante pour les organismes non certifiés, qui se retrouvent exclus des fonds publics malgré des prestations de qualité. Cette situation est dénoncée comme une forme de discrimination qui favorise les structures certifiées, même lorsqu’elles ne démontrent pas nécessairement une meilleure qualité que leurs homologues non certifiés. Pour certains acteurs du secteur, l’accès aux financements publics devrait reposer sur d’autres critères de qualité et non uniquement sur l’obtention de la certification.
Fraudes et Certifications de Complaisance : Une Crédibilité Mise en Cause
Des accusations de fraudes et de certifications de complaisance ternissent également l’image de Qualiopi. Certains organismes auraient obtenu leur certification sans respecter pleinement les critères du RNQ, parfois grâce à des auditeurs trop indulgents ou en exploitant des failles dans le système. Le risque de conflit d’intérêt est également pointé du doigt : certains auditeurs, travaillant en freelance, sont aussi accompagnateurs, ce qui pourrait influencer leur rigueur lors des audits. Ces pratiques remettent en question la crédibilité de la certification et soulèvent des doutes quant à son efficacité réelle en matière de contrôle de la qualité.
Manque de Transparence et Communication : Un Sentiment d’Abandon
La communication autour de Qualiopi, ses exigences et les résultats des audits est souvent critiquée pour son manque de clarté et de transparence. De nombreux organismes de formation se sentent mal informés et peinent à suivre les exigences changeantes de la certification. Ce sentiment de flou alimente la frustration et le découragement, particulièrement chez les petites structures qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour suivre ces évolutions. Le manque de communication claire renforce l’image d’une certification complexe et difficile à appréhender.
Décorrélation avec la Réalité Quotidienne : Une Critique Répandue
Pour de nombreux acteurs de la formation, Qualiopi est perçue comme une certification trop éloignée des réalités quotidiennes des organismes. Cette déconnexion se manifeste particulièrement à travers certains indicateurs, tels que l’indicateur 30 qui exige de recueillir les appréciations des parties prenantes, y compris celles des financeurs. En pratique, cette exigence est souvent jugée irréaliste, car les financeurs, tels que les OPCO, répondent rarement aux demandes de feedback, rendant cet indicateur peu pertinent. Beaucoup d’organismes de formation s’interrogent sur l’utilité concrète de ces démarches qui, selon eux, n’apportent que peu de valeur ajoutée à leur activité réelle et complexifient inutilement leur quotidien.
Fluctuation d'un Auditeur à un Autre : Une Rigueur Variable
Enfin, la variabilité dans l’interprétation des critères d’audit d’un auditeur à l’autre est une source de frustration pour les organismes de formation. Selon l’auditeur en charge, les exigences et la tolérance aux non-conformités peuvent varier considérablement, créant un sentiment d’injustice. Certains auditeurs se montrent indulgents, tandis que d’autres appliquent les règles avec une grande rigueur, entraînant des disparités significatives dans les résultats des audits. Cette fluctuation dans l’évaluation alimente l’incompréhension et renforce l’idée que la certification Qualiopi manque de standardisation dans son application.
Benoît Boitard est fondateur de Digi-Certif. Diplômé de Sciences Po Paris, spécialité management et qualité au sein des organisations, il est auditeur Qualiopi et responsable qualité au sein de plusieurs organismes de formations depuis 2020.