En octobre dernier, le Commissaire européen à l’Emploi, Nicolas Schmit lançait la phrase suivante : “Aujourd’hui en Europe, seuls 30% des actifs ont un accès à la formation continue. Nous soutenons le CPF français et allons mettre en place un cadre pour inciter à sa mise en place dans les autres Etats”.
Le Compte Personnel de Formation (CPF) est un dispositif de financement public de la formation continue. Il a été créé en application de la loi n°2014-288 relative à la formation professionnelle et intervient en remplacement du Droit Individuel à la Formation (DIF). Administré par la Caisse des Dépôts, le CPF se veut le clé de voûte de la grande réforme de la formation professionnelle de 2014, mais plus globalement il se présente comme un élément central d u système de formation professionnelle “à la française”.
Si le CPF semble séduire au niveau européen, il n’est pourtant pas exempt de tout reproche en France, notamment de la part des syndicats et du patronat. Après le recul offert par ces quelques années, quel bilan peut-on tirer de la création du Compte Personnel de Formation (CPF) en France ?
Le CPF a réussi à se fondre dans le paysage de la formation professionnelle française
Le nombre de formations demandées en hausse constante
Il y a deux semaines, Elisabeth Borne et la Caisse des Dépôts fêtaient les deux ans de l’application Mon Compte Formation (CPF) et du site Internet qui l’accompagne. D’une voix commune, tous se félicitent de la grande réussite qu’a constitué le CPF, allant même jusqu’à parler d’ “une des plus grandes réussites du quinquennat”.
Il est vrai que les chiffres sont flatteurs pour la Ministre. Depuis la création du Compte Personnel de Formation en 2015, 4,6 millions de dossiers de formation ont été financés par le CPF.
Pour l’année 2021, déjà deux millions de dossiers ont été financés, contre 517.000 en 2019 et 984.000 en 2020. En deux ans, le nombre de dossiers financés par le CPF a donc été multiplié par près de 4. Ce mouvement a largement été facilité par la mise en place du Parcours d’Achat Direct (PAD) qui permet aux bénéficiaires d’accéder aux formations sans intermédiaire. Depuis sa mise en place, les données du CPF ont ainsi largement évolué, notamment pour les populations cibles de la formation professionnelle. En 2021, les demandeurs d’emploi représentent ainsi 36% des utilisateurs du CPF, soit 4 points de plus qu’en 2019. Les femmes représentent 50% des utilisateurs du CPF, contre 46% en 2019. Enfin, le nombre d’entrants en formation de moins de 30 ans a doublé depuis 2019, quand le nombre d’entrants en formation de plus de 60 ans a triplé (chiffres du Ministère).
Qualiopi en garde fou de la qualité du système de financement public
Dans le même temps, le nombre d’organismes de formation a lui aussi connu une hausse exponentielle. En 2014, on comptait un peu plus de 60.000 organismes de formation (OF) en France. Ils sont aujourd’hui près de 110.000 à être référencés sur DataGouv, la plateforme de données statistiques du Gouvernement.
Pour s’assurer de la qualité de ces organismes, et de l’efficacité du système de financement de la formation professionnelle, la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel est venue compléter le dispositif mis en place par le CPF. À partir du 1er janvier 2022, seuls les organismes de formation ayant obtenu la certification Qualiopi pourront bénéficier de financements publics ou mutualisés, autrement dit du CPF. Basé sur un référentiel de 32 critères qualité, la certification Qualiopi vise à s’assurer de la qualité des organismes de formation qui bénéficient des crédits CPF.
Tout laisse donc à penser que le CPF s’est parfaitement intégré au paysage de la formation professionnelle française et que les mesures mises en place permettront d’assurer son bon fonctionnement. Toutefois, une analyse plus fine de la situation laisse apparaître les premières dérives du système.
Des interrogations demeurent quant à la teneur des formations dispensées et à leur capacité à répondre aux besoins du marché du travail français
La teneur des formations dispensées laisse penser que le système ne répond pas parfaitement à ses attentes
La première interrogation porte sur la teneur des formations dispensées dans le cadre du dispositif CPF. En 2020, 25,9% des entrées en formation concernaient des formations dans le transport, la manutention et le magasinage. Dans leurs travaux d’analyse de la réforme, les partenaires sociaux soulèvent ainsi que ces formations concernent essentiellement le passage du permis de conduire des actifs – la première formation demandée en France. On ne peut donc pas vraiment dire que le CPF pousse à faire de la transition professionnelle ou à augmenter le niveau de qualification des actifs. Michel Beaugeas de FO souligne ainsi “Quand on regarde le top 10 des formations, c’est le permis de conduire qui sort premier. Et la question se pose de savoir si c’est à la formation professionnelle de le payer. Il y a également l’exemple des certifications obligatoires qui, normalement, relèvent de l’entreprise. C’est à elle de payer et non pas au salarié avec son CPF. Donc nous souhaitons un recentrage sur de la formation qualifiante qui permette au salarié soit de monter en qualifications au sein de son entreprise, soit de pouvoir faire une transition professionnelle vers une autre entreprise.”.
Le CPF en proie à de nombreux abus
L’autre limite du CPF tient en son succès. En effet, avec 38 millions d’utilisateurs qui conservent en moyenne 1 400 euros sur leur CPF, la plateforme stocke 53 milliards d’euros épargnés. Ce qui n’a pas manqué d’attirer la convoitise d’organismes de formation peu scrupuleux. Appels incessants, SMS fallacieux et e-mails promettant un cursus en contrepartie de vos coordonnées… Voilà près de deux ans qu’un démarchage massif gangrène le secteur de la formation.
Les téléopérateurs mentent souvent au téléphone, se faisant tantôt passer pour le Ministère de la formation professionnelle ou arguant tantôt que sans dépenser ses droits à la formation, ceux-ci seront perdus. Le Gouvernement a donc créé une procédure spécifique pour dénoncer les pratiques frauduleuses et tentatives d’arnaques autour du compte CPF. Pour endiguer ce phénomène, il envisage également d’interdire tout démarchage téléphonique dans le cadre du CPF.
Benoît Boitard est fondateur de Digi-Certif. Diplômé de Sciences Po Paris, spécialité management et qualité au sein des organisations, il est auditeur Qualiopi et responsable qualité au sein de plusieurs organismes de formations depuis 2020.