Face aux pénuries de main-d’œuvre et à des besoins spécifiques non couverts par le système de formation traditionnel, certaines entreprises ont choisi de créer leur propre Centre de Formation des Apprentis (CFA). Cette démarche leur permet de former directement des apprentis aux métiers dont elles ont besoin, tout en renforçant leur attractivité et leur marque employeur. Voici un tour d’horizon des entreprises qui ont relevé ce défi et des motivations qui les ont poussées à se lancer.
Des exemples inspirants dans des secteurs variés
Hermès : transmettre un savoir-faire artisanal
Dans le secteur du luxe, Hermès a fait figure de pionnier en créant en 2021 son CFA spécialisé dans la maroquinerie. Implanté dans les ateliers de Fitilieu, ce CFA forme des apprentis au CAP maroquinerie en 18 mois. L’objectif ? Répondre à une demande croissante pour le « made in France » et recruter les petites mains nécessaires à la fabrication de sacs et d’accessoires de luxe. Ce CFA permet aussi d’attirer des talents en reconversion, comme l’illustre le parcours de Mélanie Vacher, ancienne esthéticienne, aujourd’hui formée comme sellier maroquinier.
Fnac Darty : au service de l’économie circulaire
Avec son CFA ouvert en 2022, Fnac Darty a choisi de miser sur la réparation d’équipements électroménagers et électroniques, un domaine crucial pour son modèle économique et pour la transition écologique. Le groupe vise à former 500 réparateurs d’ici 2025 pour atteindre un effectif total de 3000 techniciens. Le CFA compte sept classes accueillant entre 10 et 12 élèves, parmi lesquels des lycéens et des adultes en reconversion. « La formation publique n’ayant pas suivi l’évolution du marché, nous avons dû créer nos propres capacités de formation », explique la direction.
Système U : pallier les pénuries dans les métiers de bouche
En 2020, Système U a inauguré son premier CFA pour former des apprentis bouchers, un métier en tension dans la grande distribution. Devant le succès de cette initiative, le distributeur a étendu l’offre à d’autres professions comme les boulangers et les poissonniers. Cependant, la marque reconnaît que son CFA ne suffit pas à répondre à ses besoins immenses en recrutement.
BNP Paribas : une formation hybride
Avec B-School, son CFA lancé en 2022, BNP Paribas combine des cours assurés par des partenaires externes (70%) et des modules internes (30%) pour préparer des étudiants aux métiers de la banque. Cette approche hybride permet d’offrir une formation sur-mesure et en phase avec les attentes de l’entreprise. Depuis son lancement, 547 apprentis ont été formés, avec un taux d’embauche en CDI notable, bien que des pertes en cours de parcours soient à déplorer.
Airbus : l’excellence technique au service de l’aéronautique
Airbus va encore plus loin avec ses deux lycées-CFA implantés à Toulouse et à Méaulte. Ces centres forment chaque année près de 420 jeunes aux métiers de l’aéronautique, avec des cursus allant du CAP au bac pro. L’objectif est clair : garantir un vivier de talents adapté aux besoins pointus du secteur et renforcer la compétitivité industrielle.
Des collaborations stratégiques
Le CFA des Chefs : un modèle interentreprises
En 2019, plusieurs entreprises comme Accor, Adecco, Disneyland Paris et Sodexo ont uni leurs forces pour créer le CFA des Chefs, spécialisé dans les métiers de la restauration. Ce CFA a formé 750 apprentis depuis sa création et prévoit de s’étendre en intégrant de nouveaux partenaires. Françoise Merloz, sa directrice, souligne : « Se regrouper permet d’amortir les charges fixes et de répondre à des besoins communs de recrutement.»
Michelin et Limagrain : une alliance locale
Dans le Puy-de-Dôme, Michelin, Limagrain et la Banque de France ont collaboré avec les collectivités locales pour créer un CFA industriel. Ce centre forme 200 apprentis aux métiers de l’industrie et garantit leur embauche à la fin du cursus, répondant ainsi à des besoins spécifiques du territoire.
Les motivations derrière ces initiatives
La création d’un CFA d’entreprise ne se limite pas à combler des besoins en recrutement. Elle s’inscrit dans une stratégie globale de gestion des compétences et de valorisation de la marque employeur. Ces entreprises cherchent à :
- Fidéliser les talents : Les apprentis formés en interne sont souvent mieux intégrés et restent plus longtemps dans l’entreprise. Chez Clariane, le taux d’intégration des apprentis est passé de 25 % à 60 % grâce à son CFA.
- Diffuser une culture d’entreprise : En baignant dans l’environnement de travail, les apprentis adoptent plus facilement les valeurs et les méthodes de l’organisation.
- Anticiper les évolutions sectorielles : Qu’il s’agisse de transition écologique ou de transformation numérique, les CFA permettent de préparer les talents aux enjeux de demain.
Les limites et défis
Malgré leurs avantages, les CFA d’entreprises présentent des limites. Leur mise en place exige un investissement financier et humain considérable, ce qui les rend souvent inaccessibles pour les petites structures. De plus, les pertes en cours de formation rappellent que ce modèle n’est pas une solution universelle. Enfin, dans certains secteurs comme la restauration ou le BTP, les besoins énormes en main-d’œuvre ne peuvent être comblés par ces initiatives seules.
Les CFA d’entreprises illustrent une réponse audacieuse et adaptée aux défis de recrutement et de compétences. En investissant dans la formation de leurs futurs collaborateurs, ces organisations s’assurent un vivier de talents alignés sur leurs besoins stratégiques. Si le modèle reste encore principalement accessible aux grandes entreprises ou aux collaborations interentreprises, il pourrait inspirer d’autres approches innovantes pour enrichir le paysage de la formation professionnelle en France.
Benoît Boitard est fondateur de Digi-Certif. Diplômé de Sciences Po Paris, spécialité management et qualité au sein des organisations, il est auditeur Qualiopi et responsable qualité au sein de plusieurs organismes de formations depuis 2020.
