Faut-il franchir le pas et créer son propre CFA d’entreprise ? Depuis la réforme de 2018, quelques grands noms comme Orange ou Engie se sont lancés, laissant les petites entreprises sur le bord de la route. Modèle prometteur ou simple effet de mode ? Ce dispositif pourrait transformer la formation professionnelle, mais à quel prix ? Décryptage d’un phénomène qui intrigue autant qu’il divise.
Une tendance réservée aux grands groupes
Depuis la loi « Avenir professionnel » de 2018, la création de CFA d’entreprise s’est simplifiée. Pourtant, cette réforme semble surtout avoir bénéficié aux grands groupes. Aujourd’hui, on compte environ 80 CFA d’entreprise en France, tous portés par des mastodontes tels qu’Orange, Schneider Electric ou encore Accor. Les PME et TPE, de leur côté, brillent par leur absence.
Les raisons de cette domination des grands groupes sont multiples :
- Un investissement initial considérable : ouvrir un CFA nécessite des ressources importantes en termes de budget, de logistique et de compétences. Par exemple, le CFA de Socotec a mobilisé deux cabinets d’avocats, un cabinet de gestion et une équipe interne dédiée.
- Une échelle critique nécessaire : pour amortir les coûts, il faut accueillir un nombre minimal d’apprentis. Saint-Gobain, par exemple, forme 70 apprentis par an et vise 200.
- La complexité administrative : au-delà de la gestion pédagogique, la création d’un CFA implique de jongler avec les règles de l’apprentissage et les dispositifs de financement.
Ainsi, bien que les petites entreprises aient la possibilité légale de créer leur CFA, elles se heurtent à des contraintes qui les dissuadent de se lancer. La question reste donc ouverte : un CFA d’entreprise est-il vraiment une opportunité pour tous ou un modèle réservé à une élite ?
Une opportunité stratégique pour les grandes entreprises
Pour les grands groupes, le CFA d’entreprise représente une solution stratégique face à plusieurs enjeux :
- Former aux métiers en tension : les CFA permettent de pallier les pénuries de main-d’œuvre sur des postes spécifiques. Par exemple, le CFA des chefs, créé par des acteurs comme Sodexo ou Disneyland Paris, forme des cuisiniers pour répondre à la crise de recrutement dans la restauration.
- Accompagner les métiers d’avenir : des entreprises comme Engie ont créé des CFA orientés sur la transition énergétique, formant des techniciens aux nouvelles compétences demandées dans le secteur.
- Renforcer l’image de marque : un CFA est aussi un outil de communication. Il montre l’engagement de l’entreprise dans la formation et le développement durable, attirant ainsi talents et partenaires.
Ces atouts expliquent pourquoi les grandes entreprises, déjà dotées de ressources considérables, ont été les premières à franchir le pas.
Et les petites entreprises dans tout ça ?
Pour les PME, la création d’un CFA d’entreprise semble, à première vue, hors de portée. Pourtant, des solutions existent pour réduire les obstacles :
- Les CFA interentreprises : plusieurs petites entreprises d’un même secteur ou territoire peuvent s’associer pour créer un CFA commun. Cela permet de mutualiser les coûts et d’atteindre une échelle critique.
- Le CFA « hors les murs » : certaines entreprises choisissent de déléguer la partie théorique à des CFA existants tout en gardant la maîtrise pédagogique et administrative de l’apprentissage.
Malgré tout, la démarche reste lourde et demande une stratégie claire pour être rentable. Si les PME souhaitent explorer cette voie, elles doivent évaluer précisément leurs besoins, leurs capacités et l’impact attendu.
Le CFA d’entreprise : un modèle à généraliser ?
La création d’un CFA d’entreprise est une vraie opportunité pour les grandes entreprises qui disposent des moyens financiers et humains nécessaires. Cependant, pour les petites structures, le modèle reste souvent une « fausse bonne idée », faute de ressources suffisantes.
Pour que ce modèle devienne accessible à un plus grand nombre d’entreprises, des adaptations sont nécessaires :
- Une simplification des dispositifs administratifs,
- Une augmentation des financements dédiés,
- Et un accompagnement renforcé pour les petites entreprises.
En attendant, la création de CFA reste un outil stratégique puissant pour les grands groupes et une opportunité à étudier pour les PME les plus ambitieuses.
Benoît Boitard est fondateur de Digi-Certif. Diplômé de Sciences Po Paris, spécialité management et qualité au sein des organisations, il est auditeur Qualiopi et responsable qualité au sein de plusieurs organismes de formations depuis 2020.